Réforme fiscale : moins de pression sur les revenus du travail, taxation des plus-values, à quoi faut-il s’attendre ?

Le Ministre Van Peteghem a rendu publique sa proposition de « vaste réforme fiscale » il y a quelques jours. C’est une épure qui contient de nombreuses propositions de travail sommairement présentées et représentant de vastes chantiers chacune. Cette note se présente dès lors comme une source d’inspiration pour les futures législatures.

Mis à part quelques petites exceptions, cette réforme vise essentiellement les personnes physiques en laissant presqu’intacts les régimes d’impôt des sociétés et des personnes morales.

Si le projet se fonde sur des prémisses discutables selon lesquelles notre fiscalité n’est plus adaptée à la réalité de notre pays car elle serait orientée vers les personnes qui se marient, ont plusieurs enfants, ou encore une maison individuelle, ce « pavé dans la marre » jette néanmoins l’ébauche d’un profond renversement de l’idéologie qui réside derrière l’actuel Code des impôts sur les revenus. La Belgique prend ainsi la voie de nombreux de ses voisins en alignant sa fiscalité par des jeux de vases communiquant.

A ce jour, certains revenus sont lourdement taxés alors que d’autres bénéficient d’exonérations et l’objectif est de niveler ces impositions.

La réforme s’en prend dès lors directement aux exonérations parmi les plus célèbres (e.g., plus-values mobilières et immobilières) pour permettre un abaissement de la pression fiscale pesant sur le travail, le tout de manière modérée mais l’orientation est prise. Il y a fort à penser que d’ici quelques législatures, si cette idéologie persiste, l’égalité des revenus devant l’impôt deviendra presque totale.

Cette réforme ne devrait cependant pas faire fuir les contribuables les plus fortunés qui tirent la majorité de leurs revenus de leur patrimoine mobilier et immobilier car les taux restent raisonnables au regard d’autres pays mais il n’en demeure pas moins que la Belgique perdra au passage son étiquette de paradis fiscal (pour certains revenus).   

Concrètement, trois axes de travail sont proposés concernant (i) les revenus d’activités professionnelles et de remplacement, (ii) les revenus du patrimoine et enfin, (iii) la consommation.

Nous tenterons de synthétiser dans les lignes qui suivent les lignes de force connues à ce stade.

1.           Revenus professionnels

Réduction de la pression fiscale sur le travail

La proposition affirme une volonté claire de faire baisser la pression fiscale sur le travail en compensant cette baisse par l’abrogation de certaines exonérations.

Le principe de base d’une imposition progressive par tranches n’est pas remis en question mais il s’en trouverait réaménagé.

La proposition entend augmenter la quotité d’impôt exonérée (pour la faire correspondre à la première tranche d’imposition de 13.990,00 EUR) et remplacer les tranches actuelles de 40, 45 et 50% par des tranches de 35, 40 et 45%, tout en ajoutant une tranche de 50% applicable aux revenus supérieurs à 84.740,00 EUR. Pratiquement et de manière très simplifiée, un revenu imposable de 40.000,00 EUR par an devrait supporter 9.920,00 EUR d’impôt fédéral à la place de 12.375,00 EUR sous le régime actuel alors qu’un revenu imposable de 100.000,00 EUR par an supportera 37.445,00 EUR d’impôt fédéral à la place de 42.260,00 EUR actuellement. La réduction est palpable (bien qu’encore trop timide).

Ladite quotité exemptée sera par ailleurs égale pour le premier enfant comme pour les suivants (qui aujourd’hui sont moins « valorisés » que le premier enfant) en ajoutant encore une majoration de cette quotité pour les parents totalement isolés. Le quotient conjugal sera par contre supprimé. Nous l’avons souligné ci-dessus, cette réforme véhicule une idéologie de société faite de personnes isolées, quand bien même celles-ci vivraient en commun.  

Enfin, en termes de réductions signalons encore que la cotisation spéciale de sécurité sociale passerait à la trappe et que le bonus à l’emploi serait remanié de sorte à permettre son application plus longtemps (i.e., augmentation du seuil).

Compensations budgétaires

Pour compenser cet abaissement, une première mesure réside dans la modification du régime des avantages en nature. Il est question de supprimer les évaluations forfaitaires (e.g., logement, chauffage, etc.), en ce compris pour les options sur actions et d’élargir la notion sociale de rémunération afin de soumettre aux cotisations sociales tous les avantages qui sont imposables (i.e., alignement des notions fiscales et sociales) en incluant notamment tout ce qui ressort des plans cafétaria. Les différentes formules de chèques (éco, sport, etc.) deviendraient pleinement imposables, sauf les chèques-repas.

C’est dès lors un alignement général qui devrait s’opérer quant à la taxation des avantages en nature, sauf de rares exceptions.

Autre compensation, le régime des déductions de frais sera également revisité afin d’éliminer les possibilités de remboursements forfaitaires exonérés pour ne permettre que le remboursement des frais réels et introduire des nouvelles limitations visant à combattre la déduction de frais considérés comme privés.

Dans ce registre, les frais de pension alimentaire ne seront plus déductibles (et deviendront alors non-imposables pour le bénéficiaire). Seuls les frais de garde d’enfants seront augmentés afin de favoriser le travail.

Régimes particuliers

L’alignement souhaité de notre fiscalité n’épargne pas les régimes particuliers.

Ainsi, les régimes d’incitants introduits pour favoriser la créativité et le talent seront revus afin d’éviter les abus et de faire correspondre ces régimes à l’intention initiale du législateur, ce qui est dans l’air depuis quelques mois.

Par ailleurs, le régime mainte fois remanié des revenus de l’économie collaborative et autres revenus « d’appoint » sera revu pour introduire une exonération de 6.000,00 EUR par an et l’inclusion des revenus qui dépassent ce seuil aux revenus professionnels globalisés.

Les sociétés

Les PME se voient gratifiées d’une réduction de l’impôt des sociétés qui passerait de 20% à 15% sur une tranche doublée de 200.000,00 EUR par an (et plus 100.000,00 EUR comme actuellement). Cela étant, le projet entend lutter contre les abus de la ‘sociétisation’ en augmentant la rémunération minimale qui conditionne l’application du régime qui soit dit en passant, ne pourra plus contenir les formes alternatives de rémunération.

Pour faire écho au mouvement européen de base d’imposition minimale des multinationales, la proposition confirme sans grande surprise que la Belgique adoptera un tel régime.  

Simplification

La proposition entend simplifier la fiscalité et à ce titre, le précompte professionnel serait revu pour être plus précis et éviter les trop grosses régularisations à l’enrôlement de l’impôt et le formulaire de déclaration, après nettoyage, ne devrait plus comporter que 75% des cases connues actuellement.

2.           Revenus mobiliers et immobiliers

C’est au regard de l’impôt sur les revenus mobiliers et immobiliers que se concrétise le basculement d’idéologie fiscale qui fonde cette proposition.

De par la suppression des principales exonérations, la règle générale devient la taxation, sauf les rares exceptions qui demeurent.

Cette imposition de principe justifierait alors l’introduction d’une deuxième quotité exonérée d’impôt visant spécifiquement les revenus « du patrimoine ». La proposition envisage à ce titre l’exonération d’une première tranche de 6.000,00 EUR par an.

Revenus périodiques : Intérêts, dividendes, royalties, loyers

La réforme introduit un régime général d’imposition des revenus périodiques du patrimoine privé à un taux de 25% en maintenant la pratique du précompte mobilier libératoire pour les revenus mobiliers.

En contrepartie, les différentes exemptions (Sicav, etc.) et régimes de faveur (taxation forfaitaire des loyers) seraient supprimées ; les loyers devenant taxables pour leur montant réel au taux de 25%.

Une autre innovation résiderait dans l’instauration d’une déduction pour rénovation d’immeuble. Celle-ci serait forfaitaire (de 30% des revenus locatifs) mais pourrait être sollicitée sur la base du coût réel des frais de rénovation d’une habitation. La proposition ne précise pas si cette déduction sera reportable et applicable aux plus-values ou aux loyers.

Plus-values

Une modification importante s’opère également pour les plus-values sur actions qui deviennent taxables à un taux de 15% (ou 25%, ceci reste à confimer) alors que la taxe sur les comptes-titres et sur les opérations de bourse serait supprimée.

Une exonération limitée serait prévue pour les plus-values de sociétés maintenant leurs activités après leur cession.

Toujours dans le registre des plus-values, celles réalisées sur des biens immeubles deviendraient désormais imposables à un taux de 15% sauf pour ce qui concerne l’habitation propre. La réduction d’impôt fédéral disparaîtra également pour ces biens non-propres. Les moins-values deviendraient quant à elles déductibles.

3.           Taxes sur la consommation

Le défi énergétique est au centre de la proposition de travail pour ce qui concerne la TVA avec en toile de fonds les échéances européennes en la matière.

Les énergies fossiles seront soumises au taux de 21% alors que l’électricité restera au taux réduit de manière permanente, tout en réformant le système des accises afin de distinguer la consommation de base de la consommation supplémentaire et d’être plus flexible en cas de crise sur les marchés. La taxe CO2 sera revue pour être élargie et il faudra donc s’attendre à une augmentation des taxes sur les transports considérés comme coûteux socialement (e.g., kérosène, diesel, etc.).

La fiscalité des véhicules continue donc de s’orienter vers un encouragement des voitures électriques après l’annonce récente de la fin des déductions fiscales sur les voitures thermiques. Dans la prolongation de cette abolition, l’avantage en nature résultant de la mise à disposition de cartes carburant sera imposable (pour les déplacements non professionnels). L’utilisation du vélo continuera d’être encouragée en introduisant une exonération de TVA et une réduction pour les vélos partagés.

Toujours en matière de transition énergétique, la TVA au taux réduit resterait applicable pour les rénovations et reconstructions d’habitations afin d’inciter à la transition énergétique.

Enfin, notons que différentes exonérations de TVA seraient introduites pour les fruits, légumes, médicaments et les transports publics.

Les seules compensations annoncées sont la suppression des taux de TVA de 6% et de 12% au profit d’un nouveau taux réduit unique de 9% et une nouvelle augmentation des taxes sur le tabac.

4.           Une réforme fiscale idéologique

Indéniablement, cette réforme bouleverse quelque peu notre fiscalité pour glisser vers un modèle de dual income tax qui se rencontre beaucoup à l’étranger. La Belgique était un des rares pays à ne pas imposer les plus-values sur actions ou sur immeubles et il ne faut pas s’étonner de ce revirement qui planait dans l’air au même titre qu’un impôt sur la fortune qui a dès lors été évacué, fort heureusement.

Il est bien entendu trop tôt que pour donner le moindre avis technique sur ces différentes mesures qui ne sont qu’annoncées sommairement. Par contre, le basculement d’idéologie fiscale est affirmé, ce qui modifiera certains comportements.

Les nuances qui devront être apportées se révèleront cruciales pour assurer l’objectif poursuivi par la réforme dans le respect des principes généraux de l’impôt direct qui demeureront.

Sans oublier la sécurité juridique à laquelle tout contribuable à droit et qui devra être dument prise en compte dans le cadre des mesures transitoires annoncées, sans autre détail à ce stade.

Outre les aspects relatifs aux défis énergétiques, c’est une réforme qui s’inscrit dans un encouragement du travail en traitant dorénavant les revenus du patrimoine moins favorablement. Il reste que les taux annoncés de 25% et 15% demeurent largement inférieurs aux taux de l’impôt sur les revenus professionnels. Il fera toujours bon vivre en Belgique pour ces revenus de patrimoine au regard des pays voisins, si l’on tient bien entendu compte de la fonction première de l’impôt qui est de doter l’Etat des infrastructures et politiques publiques nécessaires à la vie en société.

 

Xavier Gillot  

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