Fiscalité des earn-out et carried interest : jurisprudence récente
Les clause de earn-out et les carried interest sont devenus monnaie courante de nos jours. Il est par exemple devenu quasi-systématique que le rachat d’une société comporte des accords visant à définir le prix de la transaction (en tout ou partie) sur la base des résultats futurs de la cible. Que ce soit pour assurer une transition efficace, pour inciter des managers à rester et à performer, ces arrangements sont devenus fréquents.
Pour autant, la fiscalité belge n’a pas adopté de cadre spécifique pour ces transactions dont le régime est dès lors régi par le droit fiscal ‘commun’.
L’administration essaie régulièrement d’imposer ces revenus en invoquant différents arguments parmi lesquels figurent le plus souvent le lien avec l’activité professionnelle, pour tenter de taxer les revenus au titre de revenus professionnels, la simulation ou l’abus fiscal.
Une décision récente du Tribunal de première instance de Bruxelles (27 mars 2023) revient sur cette problématique en déboutant l’administration fiscale qui tentait de démontrer que les revenus concernés devaient être considérés comme des revenus professionnels.
L’affaire concerne un scénario assez classique : une société cible qui présentait du potentiel fut rachetée par une société d’investissement qui entendait faire profiter les dirigeants (et par là sans doute les motiver) de la prise de valeur escomptée de la cible lorsqu’elle serait revendue ultérieurement par la société d’investissement. Pour ce faire, l’un des dirigeants reçut gratuitement des options sur des actions d’une société dédiée (qui détenait quant à elle les actions de la cible), dans le cadre de la loi du 26 mars 1999 relative aux options sur actions. L’avantage imposable fut donc taxé au moment de ces attributions.
Les options furent levées contre paiement et quelques années après, les actions de la société dédiée ainsi acquises ont été revendues à la société d’investissement moyennant une substantielle plus-value.
Simulation ?
L’administration invoqua la simulation car selon elle, les parties avaient en réalité la volonté d’éviter une taxation au titre de revenus professionnels. Ceci, au motif que les parties n’avaient eu l'intention de ne partager que les résultats positifs des opérations, que les bénéficiaires des options n’avaient jamais eu l’intention de devenir actionnaires de la société dédiée, que cette dernière manquait de substance, que les bénéficiaires n’avaient pas la volonté de rester liés à l’employeur et que ces actes n’étaient pas conformes à la réalité économique des opérations.
Le Tribunal ne fut pas du même avis.
Non seulement les dispositions de la loi de 1999 relative aux options sur actions avaient été respectées selon le Tribunal mais en outre, aucune intention frauduleuse n’a pu être démontrée (ceci, à la lumière de transactions commerciales ‘normales’). Le Tribunal considère ce faisant que les parties ont bien respecté les conséquences de leurs actes et que ces derniers reflètent correctement la réalité économique des opérations posées.
Dans ces circonstances, il ne saurait être question de simulation selon le Tribunal qui rejoint ainsi la jurisprudence déjà bien établie en la matière, de même que certaines décisions du SDA.
Revenus professionnels ?
Une taxation des plus-values réalisées au titre de revenus professionnels aurait supposé que les actions concernées aient été affectées par le contribuable concerné à l’exercice de son activité professionnelle. En pratique, cette condition n’était pas rencontrée car les actions, une fois les options exercées, tombèrent dans le patrimoine privé du contribuable sans aucune affectation à son activité de dirigeant.
Le Tribunal déboute par conséquent l’administration sur ce point également.
Jamais imposables ?
Est-ce à dire que ce type de revenus ne serait jamais imposables ? Loin s’en faut.
La prudence reste de mise dans le cadre de ce type d’opérations car comme l’illustre cette décision, l’administration fiscale avance des arguments de plus en plus techniques pour tenter d’imposer ces revenus dont certains, avouons-le, pourraient trouver écho selon les situations concernées.
En outre, le Tribunal n’a pas été saisi de la question d’une imposition au titre de revenus divers qui peut également offrir une possibilité de taxation, et non la moindre. Rappelons que la jurisprudence a déjà confirmé que dans certaines situations, la quotité ‘disproportionnée’ d’une telle plus-value peut être imposable au titre de revenus divers. Bien que cette décision particulière fasse l’objet d’un pourvoi en cassation pour certaines raisons de technique fiscale, ces dispositions peuvent, selon les circonstances, représenter un risque concret de taxation.
La manière de structurer ces opérations et de les traduire dans les accords adoptés par les parties demeure dès lors d’une importance cruciale.
Xavier Gillot