Gestion normale de patrimoine privé vs. activité professionnelle : nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation et risques de débordements administratifs
Gestion normale de patrimoine privé
Ce n’est pas une actualité fiscale, de nombreux débats entourent depuis des décennies la question de la frontière précise qui sépare les activités professionnelles de la gestion normale d’un patrimoine privé. L’enjeu est souvent de taille car dès lors qu’une activité est considérée comme de nature professionnelle, cela impliquera que les revenus qui en découlent seront soumis à l’impôt progressif par tranches alors que la gestion d’un patrimoine privé bénéficie généralement d’une exonération.
En particulier dans le domaine des opérations sur immeubles ou sur actions, la question a monopolisé énormément de fonctionnaires et de juridictions.
La solution ne s’énonce pas en une ligne, pour différentes raisons. Notre fiscalité repose sur des concepts et principes directeurs qui diffèrent selon les cas de figure (e.g., requalifier une plus-value réalisée sur un actif en revenus professionnels répond à d’autres critères que lorsqu’il est question de services rendus) et également parce que les critères légaux laissent place à une certaine interprétation. Bien que la jurisprudence soit nombreuse et ait quelque peu balisé le terrain, un certain manque de clarté règne toujours.
Frontière entre gestion normale de patrimoine privé et activités professionnelles
Dans une décision récente, la Cour de cassation est revenue sur ces notions et nuançant quelque peu sa jurisprudence en la matière. Depuis la fin des années 60’, la Cour a continuellement appréhendé cette question en s’appuyant sur une définition des activités professionnelles visant 'un ensemble d'opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continue et habituelle et qui présentent un caractère professionnel'. Dans certains arrêts, la même juridiction ajouta que cet état de faits implique que l’activité concernée ne ressort pas de la gestion normale d’un patrimoine privé, notion qui a depuis acquis une certaine notoriété.
La dernière jurisprudence de la Cour nuance quelque peu cette définition en affirmant que l’activité professionnelle est ‘une activité impliquant la réalisation d'opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation habituelle, fût-elle accessoire, ne consistant pas en la gestion normale d'un patrimoine privé’ (Cass., 17 novembre 2023).
Textuellement, deux modifications ressortent de cette définition revisitée au regard de sa précédente version : l’activité professionnelle peut être ‘accessoire’ et ne suppose plus de ‘continuité’.
Ces éléments sont-ils réellement novateurs ? La réponse est négative.
Activités accessoires
Il n’a jamais été requis par les textes applicables qu’une activité soit ‘principale’ pour constituer une activité professionnelle. Les cas d’activités professionnelles accessoires sont en pratique très nombreux : du professeur qui donne des cours particuliers à l’employé qui profite de ses soirées et weekend pour exercer une activité d’appoint par hobby, les exemples sont nombreux et une qualification de ces différentes activités au titre d’activités professionnelles sera conforme aux textes fiscaux si les critères sont remplis.
En ce point, la nouvelle jurisprudence n’ajoute donc rien.
Activités continues
La disparition de la notion de continuité de la définition utilisée par la Cour n’est pas davantage de nature à révolutionner la matière, d’autant que la Cour maintient, à juste titre, que toute activité professionnelle suppose une ‘occupation habituelle’.
En y regardant de plus près, la Cour semblait avoir utilisé la notion d’occupation ‘continue’ en vue de poser une démarcation avec l’activité occasionnelle. Or en réalité, le recours à la notion de régularité, présente tant dans l’ancienne que dans la nouvelle définition, aurait suffi à l’assurer.
Ajouter la continuité n’était donc pas nécessaire et introduisit par ailleurs un concept qui aurait pu mener à des interprétations encore plus compliquées s’il fallait considérer que des occupations régulières, mais non-continues, excluaient toute qualification d’activités professionnelles.
En supprimant la notion de continuité, la Cour ne fait dès lors à nouveau que peaufiner sa définition afin de la faire mieux correspondre avec l’interprétation raisonnable qu’il convient de donner aux textes applicables, pris dans leur globalité.
Nouveaux risques de contestations
L’affaire concernait un contribuable qui avait réalisé une série d’opérations sur instruments financiers à l’aide de fonds propres et de fonds empruntés. Ces opérations avaient généré de lourdes pertes et le contribuable revendiqua la déduction de ces pertes au titre de pertes professionnelles, imputables sur l’ensemble de ses autres revenus professionnels.
L’administration fiscale refusa cette déduction et fût suivie en appel. Le contribuable porta l’affaire en Cassation et obtint gain de cause.
Même à défaut de comptabilité ou encore d’agrément par l’autorité de surveillance des marchés financiers (FSMA), la Cour de cassation considéra que la Cour d’appel n’avait pas légalement pu décider qu’il était question d’activités non professionnelles.
Si cette décision s’avère favorable au contribuable, dans ce cas d’espèce, elle risque d’être à l’origine de nouveaux raisonnements dans les dossiers où l’administration fiscale entend contester l’exonération d’une plus-value sur valeur mobilière bien connue en droit fiscal belge. Ce débat avec l’administration fiscale est majoritairement orienté vers la question de savoir si la plus-value correspond à la gestion d’un patrimoine privé par un bon père de famille, ce qui suppose qu’elle soit exempte de spéculation et d’anormalité, critères propres aux revenus divers. En pratique, le réflexe est dès lors souvent de considérer que s’il n’y a pas de spéculation et que l’opération est ‘normale’ au regard de la gestion d’un patrimoine privé par notre bonus paterfamilias type, l’exonération peut être revendiquée.
Il est à craindre que l’administration fiscale, dans ces dossiers, s’attèle désormais non seulement à tenter de démonter la spéculation ou l’anormalité, mais également à invoquer les critères propres à une activité professionnelle, pour tenter de contester l’exonération et taxer les revenus.
Et la nuance est de taille. Le débat portant sur la spéculation ou l’anormalité vise les revenus divers ; si l’administration démontre que la plus-value ne répond pas aux conditions de l’exonération prévue en revenus divers, le risque est une taxation à ce titre, à un taux distinct de XX%.
Or, si l’administration fiscale aborde cette question en essayant de démontrer, non pas que ces critères ne sont pas réunis, mais que l’activité est en réalité une activité professionnelle, le risque sera une taxation aux taux progressifs par tranches de l’impôt des personnes physiques avec, éventuellement dans certains cas, des complications à prévoir alors également au regard de la sécurité sociale (i.e., cotisations).
Si pour une majorité de contribuables, cet argument ne représente pas un réel risque de taxation, dans certaines situations plus tangentes, il pourrait mener à de lourdes taxations, bien qu’il ne soit pas neuf et que l’arrêt de la Cour de cassation ne fait en réalité que soulever le risque que l’intérêt de l’administration fiscale pour cette approche se réveille.
Xavier Gillot